Ariel
: "l'archange de Saint-Fons", peint l'enfer des
humains d'après les écrits du philosophe Omar Khayyâm.
Une vision spectrale de la foi des hommes.
"L'EXPULSION du paradis", une petite peinture
sur bois de Giovanni di Paolo (1395-1482), exposée au
Metropolitan Museum de New York, pourrait bien être
à l'origine du travail d'Ariel. Du cercle chromatique
-représentant l'Eden- sortent Adam et Eve accompagnés
d'une créature ailée, tandis que plane sur la séquence
un "Dieu le père magistral indiquant aux amants le
chemin d'une descente aux enfers irrémédiable".
Ariel, "I'archange de Saint-Fons" raconte les
affres des humains, chassés des jardins promis, dès
qu'ils se livrent à leurs instincts. Tout comme le visionnaire
Johann Heinrich Füssli (1741-1825) - ce peintre qui
n'en finissait pas de surcharger la part de démence.
Ariel donne dans un imaginaire pressenti, puis amené,
puis consenti, les écrits purs d'Omar Khayyâm (1047-1122),
le philosophe mathématicien qui, célébrant les jouissances
immédiates, chassait les angoisses, inscrivant son nom
aux bas de quatrains mémorables. Le meilleur de ses
pages a largement inspiré la poésie persane.
|
On
est proche aussi des " petites heures ", ce manuscrit
unique de Jean de Berry, enrichissait en 1415 le précieux
volume d'une image mémorable -joyau nécessaire - "au
moment de prendre la route". Ailleurs, au plus haut
de la voûte céleste, un ange - toujours le même -plane
encore, à croire qu'à travers le temps la créature spectrale
est apparue à plusieurs reprises, posant à I'identique
pour des générations et des générations d'artistes dont
la vision dépassait le seul cadre du tableau.
Mais chez Ariel, la source la plus profane est sans
doute reliée à cet incontournable épisode du premier
feuillet de l'Office des morts des "Heures de Rohan"
(1420), que l'on peut retrouver dans les " Trésors de
la Bibliothèque nationale " de François Dupuigrenet
(éd. Nathan). La main de l'ange veille, se saisissant
de la chevelure du démon, lequel tente en vain d'arracher
à sa sérénité promise l'âme du mort : "Au jour du
jugement avecques moy seras".
Ariel, sans l'attente du jour ultime et dans la fresque
préfigurant la terre tant et tant promise, inscrit son
Œuvre dans les " Grandes heures " de l'histoire de la
foi des hommes.
Bernard
GOUTTENOIRE
|
(…)
Par un père Evaristo, issu de I'Espagne profonde, il
a toujours connu en autodidacte la peinture. Aux sentiments
religieux, il mêle la lecture incessante du livre sacré,
la Bible. La complexité de l'art d'Ariel s'exprime particulièrement
bien dans le domaine modeste, mais toujours révélateur,
propice aux contacts féconds de la miniature.
Les formes sont accompagnées de vignettes, souvent populaires
et stéréotypées et le même goût de coloriage un peu
vif se manifeste dans les illustrations réalistes de
traités profanes. Simplicité expressive des image, là,
les corps dénudés empreints d'une certaine âpreté :
le déploiement d'images encyclopédiques est traité avec
animation mais aussi avec plus d'ardeur dogmatique que
de délicatesse.
La qualité de l`imagination de la couleur du dessin
en fait une page accomplie. L'inspiration obsessionnelle
voire morbide est l'expression la plus significative
et trahit une inquiétude prégnante. Le besoin général
d'images se manifeste par la multiplication de petites
scènes, isole le moment le plus émouvant et concentre
sur la pose l'expression pathétique.
La pratique est l'expérience habituelle et tout à fait
orthodoxe du religieux. L'inspiration d'Ariel débusque
l'extraordinaire dans le quotidien.
|
Le peintre se découvre une intimité avec le Moyen-âge
et la Bible, "car les ténèbres se dissipent et la lumière
véritable paraît déjà". Semblables gnomes gambadaient
déjà depuis des siècles dans les marges des manuscrits
enluminés et leurs formes grotesques doivent être à
l'origine des inventions d'Ariel.
On dirait qu'il pioche dans le répertoire
décoratif des enluminures et se surpasse par la multiplicité
de ses formes. Les personnages râblés de petite taille,
à la silhouette gauche s'organisent en petites scènes
: ils cherchent l'image de la perfection. De plus en
plus de personnages se mélangent et la palette s'élargit.
Même si le personnage central de l`oeuvre d Ariel est
peut-être celui dont il porte le nom -ange révolté et
déchu, rêveur et créateur qui se découvre avec le Moyen-âge
une intimité - il y a dans ses toiles une multitude
de personnages, une volonté de plénitude qui n est pas
sans rappeler l'Art Brut.
Que cherchent-ils dans ces œillades fugaces ?
Animaux imaginaires, créatures morbides prêtes à exercer
notre goût de l'au-delà. Il y a là un amoncellement
commode dont le peintre ne nous donne pas la clef.
Au Moyen-âge, on se livrait à l'interprétation de lectures
ou de situations de réflexions fantastiques. Avec Ariel,
de plus en plus se mélangent les personnages sans qu'il
y ait de problème d'interprétation.
Michèle
BOUQUET
|