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DESSINS "
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Des dessins, noirs, à l'encre, et qui racontent des
histoires simples. Des histoires d'hommes et de femmes,
enturbannés, alanguis, trônant, et surtout seuls. Même
à deux. Zahra les met en scène, comme au théâtre. Ils
sont au milieu, mis en évidence, sous des lambris ou
des décors de lourdes tentures. Ce sont peut-être des
princesses ou des princes de mille et une autre nuits.
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Leur
exotisme apparent les éloigne en fait de nos rêves,
à moins qu'il ne nous les fasse regretter. Le propos
est simple, les histoires également, mais Zahra les
traite en pelotes de traits comme des flammes, tourbillonnants
ou en arrondis. Art du récit, art du conte cruel et
théâtre inquiétant pour courir après une enfance déjà
tellement regrettée.
Stani
CHAINE
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FILLE
DES SABLES
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Avec
Zahra Toughraï, l'encre ouvre des jardins inexplorés.
Alain
Dettinger a le don de découvrir des artistes que l'on
ne voit pas ailleurs. On pourrait citer, juste pour
le plaisir, Louise Anne Koeb, Ariel, Isabelle Jarousse
Weill-Lambert, grand, Dubail et, bien sûr, les "grandes
figures" Jim Leon et Evaristo. Zahra Toughraï fait partie
de cette belle brochette d'artistes dont le galeriste
peut être fier.
Zahra
Toughraï, par ces racines paternelles, est naturellement
imprégnée d'une culture méditerranéenne. Sans le nier,
elle se garde cependant d'utiliser ses influences orientalistes
qui pourraient donner à l'œuvre un caractère trop marqué,
au point de perdre la spontanéité qualité première qui
réside dans le travail.
Les
choses vivent superbement ! Il n'y a dans le trait aucune
notation d'ordre illustratif, au contraire, I'encre
est "vivante" au service du geste, posée juste là pour
ouvrir des jardins inexplorés. Assiste-t-on à l'heure
du thé, sous les grandes feuilles des palmiers ? Pourquoi
pas !
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L'imaginaire du peintre croise forcément l'imagination
de celui qui veut bien voir dans un tableau la petite
histoire qui l'arrange ! Alors, pourquoi ne pas faire
dire aux volutes qu'elles tiennent le rôle d'une tenture
plantée dans le désert ?
Et pourquoi ne pas entendre le murmure des conversations
entre les hommes qui se tapissent dans l'ombre au point
de tenir conseil ? Il y a des passages secrets dans
cette œuvre, des bribes d'intimité à ciel ouvert, des
montagnes d'exubérance à mots couverts. Dans certaines
pièces, on pourrait se croire transporté dans les jardins
suspendus de villes inexistantes où la profusion des
fruits, de fleurs comble le harem.
Pourquoi
- en dehors de toute poésie - ne pas voir aussi dans
ce travail (les mots sont ici choisis pour souligner
l'extrême qualité de l'artiste) celui d'un futur pensionnaire
de la " neuve invention '' au musée de l'Art Brut à
Lausanne.
Souhaitons que le conservateur puisse prendre le temps
de voir et d'apprécier ce qui ne dépareillerait pas
dans la superbe collection rassemblée par Dubuffet !
Bernard GOUTTENOIRE
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LE
SOUFFLE DES TENTURES |
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Ne
nous trompons pas de lieu : nous sommes bien au théâtre
: il suffit de noter l'insistante présence d'un cadre
dessiné à la plume, sorte de bordure décorative agissant
comme un clignotant : ATTENTION SPECTACLE ! On ne s'y
attend pas et soudain le rideau se lève sur des personnages
inédits: princesses emmaillotées, sultanes empaquetées,
archiduchesses enrobées de mailles graphiques, poupées
noyées dans des robes faites sur commande. Cette carapace
de tissu, ces housses fastueuses rendent compte d'un
support privilégié sur lequel s'exerce le plaisir de
la plume. La jouissance révélée de dessiner pour dessiner
cousine à l'origine avec la surcharge du décor qui fait
plier les tentures, qui investit les corps.
Les trois coups résonnent. Autour des princesses aux
parures développées s'organise tout un ballet de courtisans,
on s'y dit des mots, on y parle à voix basse. Puis soudain,
la triste révélation : certains sont dépourvus de ce
vêtement-carapace qui fait la fortune des acteurs. Ces
démunis meurent peu à peu, hâlés d'être nus. ils s'assombrissent
au contact de la scène. Leur bouille de charbon durci
invite à les prendre en pitié surtout si, à côté d'eux,
les sultanes endimanchées se pavanent. Comme si de rien
n'était. Opulence et pauvreté, figures sombres contre
faces livides, nous sommes bien au sein de la machinerie
éclatée du baroque.
Dans
un coin, des petits animaux indifférenciés, sortis d'un
laboratoire d'expérimentation génétique, se frottent
à leur maîtresse. Le spectacle continue.
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Les
dessins tirent une grande force de la présence des corps.
S'il est vrai que les robes resplendissent comme des
cibles pour le regard, il n'en reste pas moins que ces
figures obscures, celles-là dont les entrailles se résument
à un simple filet d'encre, opposent à juste titre une
résistance minimale à l'oppressant spectacle. Ils ont
été prévenus trop tard ! Les voilà sur la scène, sans
costume, alors ils font triste mine. La médiatisation
soudaine, ça les bloque. Et puis impossible de s'échapper
du décor qui déploie ses tentacules graphiques. Remarquons
que dans la plupart des dessins, il n'y a pas d'ouvertures
sur un ailleurs.
Ce
travail naît d'un exotisme renfermé, d'une concentration
sans exit. On se croirait plonger dans les derniers
fastes d'une aristocratie décadente. Les esclaves sont
là, ne croyant même plus à leur asservissement. De plus
cette exubérance du trait chez l'artiste ne fait que
révéler une béance initiale : on ne surcharge que pour
développer une résistance à la tentation du vide. Il
s'agit donc de laisser une trace : des lettres arabes
sans attaches s'impriment sur le blanc de la feuille,
didascalies fugitives, éclairs de sens. Il semble impossible
de théoriser devant un spectacle fait pour être joué.
On se laisse prendre.
Est-ce de l'art brut ? de l'art singulier ?
NON, c'est du théâtre.
Stéphane DONCQUE
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