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...L'ALCHIMIE
DU REVE
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Chaque sourcier de l'obscur a sa pratique. Elisabeth
Weill-Lambert sait provoquer l'huile, le pastel, ou
un mélange des deux, pour faire monter à la surface
ce qu'elle porte en elle-même : la parole prophétique.
Elle appelle dans ces matériaux, au moyen d'incantations
de métier qui lui sont propres, des regards chargés
d'anciennes sagesses, d'anciennes peurs, parfois des
visages qui donnent à ces yeux fiévreux leur majesté
et parfois des silhouettes comme des crucifiés au jardin
des supplices.
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Ces
créatures naissent du geste du peintre, de son maniement
des matériaux intercesseurs. On sent en elles le mouvement
qui les a fait surgir. L'art d'Elisabeth Weill-Lambert
est de les contenir dans les limbes, entre le visible
et le suggéré. Elle sait de mieux en mieux les maîtriser,
les maintenir au seuil, entre le sépulcre et la résurrection.
Sans doute parce qu'on entend mieux ces hôtes des profondeurs
quand ils sont à peine tracés. C'est la parole sourde
qui éveille le plus d'échos...
Jean-Jacques
LERRANT
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(...)
Dans les œuvres d'Elisabeth Weill-Lambert le spectateur
peut donner libre cours à l'habitude perverse qui consiste
à "identifier" des formes. Il s'agit surtout de visages
ou de masques scarifiés qui reviennent sur chaque petite
surface, se ressemblent toue en étant toujours différents.
Mais en dépit de leur caractère presque systématique,
ces formes relèvent davantage de l'illusion que d'une
présence réelle et volontaire.
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Ou bien si elles existent, c'est à l'insu de l'artiste.
Et le spectateur ne peut jamais que les entrevoir rapidement.
Ou, plus précisément, sitôt qu'il croit les avoir saisies
et cernées, elles se fondent dans la matière picturale,
et laissent s'épanouir en toute liberté une surface
doucement griffée et parfois effleurée d'une minuscule
touche de bleu ou de rouge vif dont l'éclat embrase
l'ensemble.
Dolène
AINARDI
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L'œuvre
d'Élisabeth Weill-Lambert, sur papier contrecollé sur
du carton ou du bois, est toute entière consacrée à
la figure humaine.
Portraits, visages qui se rencontrent sur ses pièces
de papier monochromes, gravées, grattées, patinées pour
en faire surgir la matière, le relief, comme autant
de fines griffures qui ajoutent de la densité à ces
figures que l'on croirait sorties du passé.
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Au
début figurative, cette galerie de portraits s'est faite
plus abstraite comme si, au fil de leur invasion, il
ne restait que la trame de leur présence. Certains proches
se reconnaissent. Même les plus anonymes témoignent
d'une histoire dont I'artiste a oublié jusqu'au souvenir.
Écriture de têtes, pourrait-on dire, alphabet visuel
de la foule humaine si bien individualisée dans notre
mémoire à tiroirs secrets.
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EFFIGIES |
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Une
galerie de visages et de têtes d'animaux nous observent
de face
"Voici que tu n'es plus pour nous figuration
murale, ni broderie de temple, mais dans la foule de
ta feuille, comme dans la foule de ton peuple, très
grande rose d'alliance et très grand arbre hiérarchique
- comme un grand arbre d'expiation à la croisée des
routes d'invasion, Où l'enfant mort se berce avec les
gourdes d'or et les tronçons de glaives ou de sceptres,
parmi les effigies d'argile noire, les chevelures tressées
de paille et les grandes fourches de corail rouge, mêlant
l'offrande tributaire à la dépouille opime."
SAINT-JOHN PERSE
Amers
Les Patriciennes aussi sont aux terrasses
Ce qui est donné à voir
Des êtres humains inconnus, tous représentés sous un
angle presque identique: de face ou de trois-quarts.
Chaque tableau est un cloisonné composé de carrés ou
de rectangles ouvragés de guirlandes florales, contenant
des formes ovales à l'intérieur desquelles s'inscrivent
des êtres, nous livrant la nudité de leurs visages très
peu mobiles. Des visages qui nous observent, nous dévisagent.
Des visages qui n'expriment pas de sentiments particuliers.
Des visages qui restent neutres. Des visages décontextualisés,
a-temporels. Aucun décor, aucun environnement ne nous
renseignent sur leur activité ou la singularité de leur
être. Parfois, quelques infimes éléments vestimentaires
peuvent constituer de faibles indices historiques. Néanmoins
ce sont apparemment pour la plupart des citadins du
XXesiècle. Des visages, mais également des têtes de
mammifères, d'oiseaux qui occupent sensiblement la même
surface du tableau que ces visages non identifiés. Ces
deux mondes se côtoient simplement sans pour autant
communiquer explicitement.
Une technique rarement utilisée : une peinture à
l'huile par soustraction.
Nous sommes en présence de petites surfaces de cartons
contrecollés. Chaque surface est ainsi indépendante
des autres. Ces différents éléments seront ensuite assemblés
afin de constituer une marqueterie. Le résultat est
donc "cloisonné". Peinture? gravure? dessin? La frontière
entre ces disciplines est ici interrogée.
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La
technique utilisée nous rappelle celle des "cartes à
gratter" de notre enfance, à cette différence près que
Elisabeth Weill-Lambert découpe et assemble ses cartes
elle-même. Tout d'abord, elle les enduit entièrement
de peinture à l'huile en une subtile polychromie allant
du brun au rouge. Puis sur ces surfaces sombres, à l'aide
d'outils qui lui sont propres le peintre, trait par
trait, enlève délicatement cette couche de peinture
superficielle et laisse apparaître des visages. Ainsi,
ces figures humaines ou animales sont-elles constituées
par le blanc du fond qui apparaît à la surface brune.
Nous sommes bien en présence d'une peinture à l'huile
par soustraction.
L'exposition présentée à la Galerie Dettinger-Mayer,
du 29 novembre 2001 au 20 janvier 2002 tissait des liens
subtils entre les œuvres de Elisabeth Weill-Lambert
et de nombreuses œuvres africaines. Cette foule d'êtres
intérieurs, ce peuple de visages et de portraits d'animaux
se trouvait confronté à des statues, statuettes rituelles
ou masques africains de très grande qualité, d'une grande
intensité religieuse ou symbolique. Ce face à face harmonieux
par les tonalités (brun, ocre rouge) se révélait fort
judicieux dans son propos; ces deux modes de représentation
de l'être humain et de son rapport à l'animal avaient
ainsi l'occasion de s'interroger :
- d'un côté un monde symbolique, religieux, sexuel où
le corps humain se donne à voir, et qui reste, jusque
dans les matériaux utilisés, en rapport étroit avec
le monde animal, végétal et minéral;
- de l'autre, un monde cloisonné où le visage seul symbolise
les individus que nous sommes, des individus qui questionnent
la nature des liens qui les unissent entre eux et qui
les unissent au monde.
Toute œuvre artistique nous déloge, nous décentre et
nous met en danger. Toute création nous invite en un
lieu secret de nous-mêmes afin de nous positionner face
à notre ombre qui n'est ni notre reflet, ni notre image.
Merci, dans ce monde tant épris de reflets et d'images,
de nous avoir offert ces portraits contemporains, ces
affleurements singuliers, ces ombres représentatives
de nos êtres.
Eric
BIOUSSE
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TOUTE
OEUVRE SINGULIERE
POSE DES QUESTIONS
Il
nous reste à demeurer ouverts aux réflexions qu'elle suscite
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L'album photos :
Chaque tableau emprunte la forme d'une page d'un album-photos
du XIXe siècle. De chacun des portraits se dégage un
sentiment de repos. Ce repos du visage dû autrefois
au long temps de pose nécessaire à la prise d'une photographie
ou à la réalisation d'une peinture à l'huile, nous le
retrouvons dans ces portraits singuliers.
Le cloisonné :
Chaque portrait est indépendant. En travaillant sur
de petits formats assemblés par la suite, le peintre
accentue l'autonomie de chacun de ses portraits. Ainsi,
nous sommes placés devant une juxtaposition d'êtres
et d'animaux qui ne forment pas un tout mais un ensemble,
chacun restant isolé.
Le portrait :
Nous ne sommes pas en présence du portrait singulier
d'un individu unique mais nous faisons face à une galerie
d'individus saisis d'un semblable abandon. Bien que
fort classique, le genre que représente le portrait
ne cesse de nous interroger. Qu'est-ce que ces têtes
sans corps? Qu'est-ce que ces visages offerts dans leur
nudité?
Le dévoilement pudique :
N'assistons-nous pas au dévoilement de quelque visage
secret qui serait un autre visage, une image intérieure,
une représentation mentale? Protégés par leur anonymat,
ces individus peuvent nous faire l'offrande de leur
nudité. Non identifiés, ces visages échappent à leur
propre narration. Ils cessent d'incarner leur histoire,
de nous raconter des histoires.
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Le lien, un partage de solitudes :
Nous pourrions supposer que des liens familiaux, amicaux,
professionnels ou de simples circonstances unissent
ces personnes entre elles puisque le peintre les fait
se côtoyer (la scène les réunissant de manière anecdotique
aurait simplement été effacée, serait restée dans l'ombre).
Force est de constater cependant que le lien qui les
unit est d'une autre nature: présents les uns aux autres,
éloignés de toute familiarité, chacun affirme son étrange
singularité, sa solitude respective.
L'abandon du visage :
Ce qui étonne également, c'est l'abandon de ces visages.
Au repos, livrés à eux-mêmes, à leur vérité, ils s'offrent
à notre regard comme dépouillés des masques outranciers
dont nous nous affublons trop souvent. Nous retrouvons
là, la nudité d'un visage comme l'on parle de l'abandon
d'un corps.
Les portraits d'animaux :
Elisabeth Weill-Lambert fait cohabiter humains et animaux.
Cependant, à l'inverse de ce qui se passe dans la peinture
des siècles précédents, aucune histoire ne les relie
: point d'aigle venant dévorer le foie de Prométhée,
de chèvre Amalthée nourrissant Zeus, de lion de Némée
à terrasser… Les êtres humains n'endossent pas non plus
d'attribut animal: point de Minotaure, centaure, Icare
ou sphinx… Les traits de l'animal ne se retrouvent pas
dans la physionomie humaine. L'animal ne vient en aucun
cas illustrer une qualité ou un défaut du genre humain.
La peinture d'Elisabeth Weill-Lambert se distingue ainsi
radicalement dans son propos des dessins de Charles
Brun au XVIIe siècle. Serait-elle le reflet de nos interrogations
sur les rapports que nous entretenons avec l'animal?
Les animaux et les êtres humains se trouvent ici sur
le même plan, représentés à la même échelle.
S'agit-il de portraits d'animaux au même titre que les
portraits d'êres humains?
Eric
BIOUSSE
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